Du parisianisme, etc.

Extraits des mémoires de l'abbé Grégoire.

Du parisianisme :

Les Parisiens, en général, ne voient que leur cité ; on dirait qu'à peine se doutent-ils que la France ait d'autres villes, ou du moins qu'à leurs yeux ce sont des points imperceptibles : ils ont l'ineptie de prétendre, et la généralité des Français a l'ineptie de croire qu'à Paris seul on trouve de grands talents. Une conséquence de ce préjugé est de vouloir accaparer tous les monuments, et comme cet esprit domine dans les académies et comités littéraires de la capitale, composés de membres, la plupart habitant Paris, des relations habituelles avec le ministère leur facilitent les moyens d'extraire de tous les dépôts qui sont en France, ce qui tente leur convoitise.
J'avais sans relâche combattu cette manie, aussi injuste qu'impolitique, de dépouiller tous les départements. Les productions du génie et les moyens d'instruction sont la propriété commune ; ils doivent être répartis sur la surface de la France comme les réverbères dans une cité ; mais on veut tout accumuler ici. Arras possédait une Bible des premières éditions de Mayence ; j'avais empêché qu'Arras ne fût volé ; pendant mon absence, le comité décida en faveur du vol. (...)
N'a-t-on pas vu le Comité de salut public enjoindre à tous les dépôts nationaux d'expédier pour Paris toutes leurs cartes géographiques ? On a peine à concevoir un tel délire ; (...) N'ai-je pas ouï des sculpteurs, des peintres, émettre en principe que tout ce qui est unique en son genre doit être à Paris ? d'où il résulte qu'ici doivent s'accumuler tous les tableaux et toutes les statues, à moins qu'on ne trouve le secret de les multiplier comme les livres et d'en donner des éditions. De là cet entassement de chefs-d'oeuvre, dont la multitude est telle qu'on leur accorde à peine un léger coup d'oeil. On faisait le voyage d'Anvers pour voir les Rubens ; ici ils sont presque oubliés dans la foule. A la tribune des Cinq-Cents je me souviens d'avoir mécontenté les Parisiens, en disant que s'il était en leur pouvoir, ils feraient venir ici le Pont du Gard, la Maison Carrée et les Arènes de Nîmes.

De la veille technologique :

(...) Tandis qu'en France nous travaillions à essuyer les pleurs du génie, à ranimer les connaissances utiles, je sentis l'importance d'établir dans les pays étrangers, par l'entremise des agents diplomatiques et commerciaux de la république, une correspondance littéraire qui avait un double objet : 1° De pomper chez les autres nations toutes les inventions utiles pour les disséminer rapidement chez nous ; 2° de faire venir tous les bons ouvrages qui avaient paru, (...).
Que de choses utiles on pourrait obtenir à peu de frais par ce genre de correspondance, qui, dans tout pays, devrait être une partie intégrante du ministère des relations extérieures !

De la construction européenne :

(...) les nations civilisées ont acquis un caractère plus homogène ; on est moins Italien, moins Français, moins Allemand ; on est plus Européen.

Lorraine

Source : Abbé Henri Grégoire (né à Vého, Meurthe-et-Moselle, en 1750 - mort à Auteuil en 1831), ancien curé d'Emberménil, député, sénateur, Mémoires, 23 avril 1808, publiés par Hippolyte Carnot en 1840, réédités par les Éditions de Santé, Paris, 1989, ISBN 2 86411 030 X.

Nota : Les titres des paragraphes ne sont pas de l'abbé Grégoire.

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© MB, Nancy, 22 décembre 2002.
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